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Angela Dupraz

DEUILS ET ACCOMPAGNEMENT

  • Photo du rédacteur: Angela Dupraz
    Angela Dupraz
  • 19 juin
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : il y a 2 jours


L’origine du mot « deuil » vient de « dolus », qui signifie « douleur ». Il désigne surtout ce qui est éprouvé quand un être cher est décédé. Il désigne aussi ce qui est éprouvé quand le corps perd une part de lui-même ou de sa fonctionnalité (amputation, maladie, grand âge). Il désigne de façon plus générale ce qui est éprouvé à chaque fois qu’une chose qui comptait disparaît.

L’expression « faire le deuil » est souvent mal comprise dans le sens erroné de « savoir se détacher et passer à autre chose ». La phrase « il faut faire le deuil » est à ce sujet d’une extrême violence.

En Maïeusthésie, « faire son deuil » doit être entendu comme « faire sa douleur ». Et cette douleur que l’entourage et le corps médical s’évertuent à vouloir apaiser est pourtant nécessaire : elle est le moyen par lequel un être tente de s’assurer de ne pas oublier ce qui est si précieux. Pourquoi l’oublierait-il ? Simplement à cause du choc, de la violence de la perte, de la blessure éprouvée qui enclenche sa pulsion de survie mettant en soi à distance la source douloureuse.

Curieusement la douleur du choc anesthésie l’être à lui-même et au proche perdu (qui ainsi risque de le perdre et de se perdre) et ensuite une autre douleur (le deuil) permet de s’assurer de ne pas l’oublier, de ne rien manquer, de poursuivre avec complétude.

L’accompagnement d’un être en deuil doit donc tenir compte de cette nécessité de « ne pas perdre », de retrouver dans sa structure intime, de placer au sein de sa psyché « celui » ou « celle » (ou « ce ») qui est si précieux. Cette douleur cesse instantanément quand celui qui l’éprouve a désormais cette assurance qu’il ne le perdra pas (celui, celle, ce) et que cela est parfaitement placé en lui.


  • Le symptôme comme un lien


Le symptôme (ce qui est ressenti et qui est quelque fois nommé « psychopathologie ») apparaît ici comme une sorte de lien temporaire entre le sujet et celui qu’il a perdu. Ce lien semble une nécessité pour avoir l’assurance de ne rien perdre de cela qui est précieux, de ne pas oublier d’entendre ce qui devait être entendu, reconnu et validé.


Cela suppose de LÂCHER PRISE D’AVEC LA REALITE OBJECTIVE (l’objectal) POUR S’OUVRIR UNE REALITE SUBJECTIVE (le subjectal, le phénoménologique). Celui qui accompagne doit savoir se laisser porter non vers la rationalité (pas vers l’irrationalité non plus) mais vers de subtils ressentis, pleins de sens, permettant d’accomplir quelque chose d’essentiel.

 Ces ressentis sont perçus comme des ressentis réels et il ne s’agit pas de savoir s’ils reflètent une réalité de faits, mais de les considérer comme une réalité perçue par le sujet.

Ce lien, pareil à un « cordage » permet de ne pas perdre ce qu’on a tendance à rejeter (nous avons vu plus haut pourquoi), en attendant de savoir s’y ouvrir, et de le reconnaître afin de l’intégrer.

Bien évidemment cela représente pour le praticien un changement majeur de fondement (de paradigme) car au lieu de se retrouver à combattre un symptôme de deuil à cause de son inconfort, il s’en sert pour accomplir une rencontre en attente de réalisation.


La douleur du deuil fait partie de ces manifestations « spécialement pour » dont il s’agit plus d’accomplir le projet pertinent que de supprimer la cause néfaste.


  •  Conséquences sur la posture du praticien


N’ayant pas compris cela, trop de praticiens médecins ou psychiatres vont tenter de donner à l’endeuillé des psychotropes pour supprimer purement et simplement la manifestation douloureuse.

Naturellement je ne prétends en aucun cas qu’il ne faille jamais diminuer une douleur dont le seuil trop élevé mettrait l’équilibre du sujet en danger. Mais ce qui importe c’est que cette manifestation ne soit pas entièrement gommée, afin que son projet puisse s’accomplir. Le problème est de savoir quel praticien connaît ce projet de façon suffisamment claire pour l’accompagner correctement ? L’intention de celui-ci est toujours louable, mais s’il empêche quelque chose qui doit se réaliser de façon pertinente, ses « bonnes intentions » ne suffisent pas.

Il importe de développer ce nouveau regard sur la psychopathologie en général, et ici sur le deuil en particulier.

Face à un endeuillé, le praticien se trouve face à un être qui met tout en œuvre pour ne pas oublier et dont la douleur disparaîtra seulement le jour où il aura la certitude que tout est à sa place en lui et qu’il n’oubliera jamais. Toute tentative de le faire « aller de l’avant » et de « passer à autre chose » est non seulement inefficace, mais aussi dangereuse.

 Si je prends l’exemple de cette femme suivie depuis longtemps par un praticien qui s’occupe de son état dit « dépressif » en mettant l’accent sur « ce futur plein de projets sensé l’apaiser », mais qui ne lui permet pas de parler des douleurs de sa vie passée, il n’aboutit pas et doit de plus en plus surmédicamenter sa patiente. D’autant que dans sa pratique, il lui interdit de parler de son passé… et l’invite seulement à se tourner vers le présent et vers l’avenir. Quand je reçois celle-ci (une seule fois), nous aboutissons instantanément au fait qu’elle a dû faire une ITG (interruption thérapeutique de grossesse, souvent réalisée tardivement quand l’enfant présente une malformation majeure).


L’attention portée sur la femme qu’elle était lors de cette ITG et la validation du ressenti qui fut le sien… puis ensuite l’attention sur cet enfant qui a fini sa vie à ce moment-là… puis l’accompagnement de celui-ci dans sa fin de vie, en conscience dans une proximité imaginaire (mais très réelle pour la patiente)… Tout cela a permis un apaisement immédiat de ce deuil qui conduisait à une surmédication inutile.


Dès que cette femme a pu énoncer, rencontrer et valider, accompagner la femme qu’elle était à ce moment de l’ITG et cet enfant qui est le sien (décédé à cette occasion), dès qu’elle a eu l’assurance que personne ne serait oublié et que chacun avait en elle, dans sa psyché, sa juste place… la douleur disparut aussitôt et l’état « dépressif » aussi. Si cette femme était restée en surmédication tournée de force vers un futur sensé l’éloigner de ses douleurs passées, elle aurait périclité dans un insoutenable désaccord intérieur… jusqu’à perdre la raison… ce qui aurait entraîné d’autres prises en charge psychiatriques (tout autant inadaptées dans ce cas).

La posture du praticien est donc très importante et les fondements (paradigmes) sur lesquels il fonde sa démarche aussi. Dans le cas du deuil il importe de revisiter les idées reçues (…).


Thierry Tournebise, extrait de la publication : « Le deuil, comprendre et accompagner », mars 2011


« Il reste d’une personne aimée une matière très subtile, immatérielle qu’on nommait avant, faute de mieux, sa présence. Une note unique dont vous ne retrouverez jamais l’équivalent dans le monde. Une note cristalline, quelque chose qui vous donnait de la joie à penser à cette personne, à la voir venir vers vous. » Christian Bobin

Selon Thierry Tournebise, quand on parle de deuil, on pense souvent au décès d'un proche. Mais ce terme peut être élargi et désigne un processus beaucoup plus vaste. Le deuil, c'est le travail psychique que notre esprit engage pour faire face à une perte significative : un lien perdu/rompu, un repère bouleversé, une projection effondrée. Le deuil ne se résume pas à la tristesse. Il peut inclure de la colère, de la sidération, du vide, de l'envie, de la culpabilité, de l'anxiété, une perte de sens ou de motivation. Ce processus est unique à chacun, mais IL REPOSE SUR UNE NECESSITE COMMUNE, INTEGRER L'ABSENCE POUR RETROUVER UN EQUILIBRE PSYCHIQUE.


Cette nécessité ne concerne pas uniquement la mort. Elle peut s'activer à chaque fois que "ce qui comptait" n'est plus là (interruption de grossesse, vivre l'infertilité, perte d'un animal, rupture amoureuse, rupture amicale, perte d'un emploi/identité sociale, deuil de l'enfance, deuil d'une famille idéalisée, etc.). Je vous accueille au cabinet Aliotis à Genève ou par Visio-conf., Chaleureusement, Angela Dupraz Genève, le 19.06.25



 
 
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