SANS TEMPS NI LIEU
- Angela Dupraz
- 28 juin
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Dernière mise à jour : il y a 2 jours
Une amie très chère m’a offert récemment l’ouvrage de François Pilet, médecin généraliste en Suisse, « Des regards et des maux », aux éditions Favre. Un chapitre a particulièrement retenu mon attention : « La médecine et le temps ». Je cite ici un extrait.
« Paradigme de la médecine : le manque de temps. Les médecins sont pressés, débordés, toujours et partout. On ne peut leur parler, ils ne peuvent écouter, impossible de les joindre. Les patients s’adressent aux médecines dites parallèles ou complémentaires, là où on leur accorde du temps, quitte à ce qu’ils doivent le payer de leur poche. Cette relation des médecins au temps m’a toujours interrogé. Comment la comprendre ? Comment décrire, de l’intérieur, ce rapport ambigu ? Peut-être en passant par la langue grecque, qui connaît au moins deux mots pour parler du temps :
Chronos, le temps mesurable, temps qui s’écoule, temps des secondes, des minutes et des heures, temps quantitatif.
Kairos, le moment propice, favorable, temps unique, qui ne dépend pas de l’horloge, temps suspendu, précieux, qui vaut par sa qualité, temps qui va compter dans la vie d’une personne, d’un couple, d’une famille, d’un groupe.
Par extension, Kairos est souvent présenté comme le temps qualitatif, dont la valeur est liée à l’intensité de ce qui se vit, à ce qu’il fait bouger en nous, aux liens qu’il établit avec le monde de nos émotions, nos souvenirs, nos sentiments et nos projets.
(…) Ce fut le combat de toute ma vie professionnelle : comment accorder suffisamment d’attention au patient qui est devant moi, qui me confie ses maux, ses peurs, ses secrets ou qui me révèle soudain un grave souci, juste au moment de partir ? Comment lui offrir alors l’écoute dont il a besoin… sans penser à l’heure qui tourne, sans anticiper la frustration plus ou moins agressive du patient suivant qui ronge déjà son frein ? »

J’aime ce mot Kairos qui me renvoie à la notion d’uchrotopie des phénomènes. En Maïeusthésie, approche que je pratique, selon Thierry Tournebise (son fondateur), aux yeux du praticien, le passé, le futur et le présent font partie de la psyché où tout est contemporain de tout, de façon atemporelle. Ni chronique ni topique, nous dirons que la psyché est UCHROTOPIE (ni temporelle, ni spatiale). Le praticien est dans le non savoir concernant les faits, les lieux, les époques et les ressentis. Mais en même temps, il est dans la connaissance de la structure dynamique des archétypes existentiels (vie/survie). L’Être de Soi y est « identifié », et non « localisé » de façon spatiale ou temporelle. Le temps et l’espace (la réalité) Dans la « réalité », zone sensorielle, ce qui se passe est assujetti au temps et à l’espace. Il y a un lieu, une circonstance, une époque, où celui que nous étions a vécu ce qui s’est passé, où l’Être émergeant en psychothérapie s’est trouvé faire l’expérience d’un éprouvé précis. Il convient cependant de distinguer ce qui a été éprouvé de ce qui s'est passé. Une même circonstance peut avoir été vécue de différentes façons selon les moyens que l’on avait d’y faire face. Une présence continue, uchrotopie (le réel) Dans le « réel », zone expérientielle, il s’agirait plus d’une sorte de panorama sans images, atemporel. Le détail événementiel et le temps n’y sont plus essentiels. L’Être que nous avons été et qui a éprouvé ce qu’il a éprouvé n’a jamais cessé d’être présent en nous. Il s’y trouve soit de façon intégrée à la psyché, soit de façon clivée si l’éprouvé est trop douloureux, s’il n’y est pas intégrable spontanément. Dans toutes les époques ultérieures, la présence de chacun de ceux que nous avons été sera constante soit en « présence ressource » (intégrée), soit comme « manquante » (clivée).
En Maïeusthésie, nous ne faisons pas un voyage dans le temps, mais un pas vers des êtres de Soi clivés, qui n’ont jamais cessé d’être là depuis tout ce temps. Il importe cependant de comprendre que chacun de ceux que nous avons été est un Être à part entière, contenant potentiellement l’entièreté de Soi. Il importe aussi de comprendre que ce que l’on nomme « réintégration » ou « remédiation », consiste en fait à permettre à cet Être de Soi de vivre en occupant « toute sa place », de telle façon qu’il peut occuper toute la psyché (ce n’est pas simplement un morceau d’espace qu’on lui offre, mais tout l’espace où il se déploie). Plus que de parler de remédiation, l’on pourrait quasiment parler de « re-immédiation », en ce sens où il n’y a aucun intermédiaire (aucun média ou médium). En effet, tous ces Êtres de Soi occupent « chacun et ensemble » une totalité de la psyché où, tous en même temps, sont déployés dans l’entièreté de « l’espace et du temps », tout en restant distincts les uns des autres. Ainsi la psyché ne répond pas aux habituels critères d’espace et de temps. Elle n’est ni topique (elle est utopique – sans espace) ni chronique (elle est uchronique – sans temps), mais bien réelle : on peut dire qu’elle est uchrotopique. D’où « un panorama sans images » avec juste des interactions entre des Êtres de Soi clivés ou intégrés. Nous y rejoignons une finalité de complétude et de déploiement. Cette finalité n’est ni écrite, ni déterminée, mais elle est source des phénomènes de la psyché, de telle façon que nous y trouvons des structures invariantes que nous pouvons nommer « archétypes existentiels ».
Les archétypes existentiels
La notion d’archétypes existentiels nous permet d’identifier des structures invariantes au sein de la psyché. Celles-ci nous servent de repères clarificateurs au sein d’une inextricable complexité, qu’il s’agisse de biographique, de transgénérationnel ou de transpersonnel, qu’il s’agisse de mémoire classique ou d’inconscient, ou de l’un-conscient ou d’in-formation. Sans la compréhension de ces invariants, il est quasi impossible de s’y retrouver et l’on ne fait qu’errer au fil des événements plus ou moins mémorisés. Si, au lieu d’une rencontre au cœur de la psyché le patient ne fait que raconter les drames qu’il a rencontrés, il ne fait que réactiver de vieilles douleurs sans permettre la moindre intégration, voire en générant de nouvelles recrudescences, de nouvelles blessures, … et de nouveaux clivages. La connaissance des archétypes existentiels permet au praticien de bénéficier d’un « panorama sans images », où les protagonistes et leurs interactions apparaissent clairement. La reconnaissance peut y être généreusement accordée et les validations soigneusement accomplies. Thierry Tournebise, extrait de la publication : « Les douze fondamentaux en Maïeusthésie », février 2020
« Il existe une force de l'infini et cette force est verte. » Hildegard von Bingen
La voie thérapeutique est une rencontre non pas avec l'évènement traumatisant, réel ou non d'ailleurs, mais de celui qui l'a vécu à ce moment-là, toujours présent dans cette place qui n'est ni lieu ni temps, mais en quelque sorte parallèle au Soi présent. (Merci Thierry de laisser ces mots résonner en moi).
Je vous accueille au Cabinet Aliotis à Genève, ou par visio-conférence, bien chaleureusement,
Angela Dupraz
Genève, le 28.06.25